Quel avenir pour la petite hydraulique en Suisse ?

Quel avenir pour la petite hydraulique en Suisse ?

Février 2017 - de Cécile Alligné-Münch

La petite hydraulique est à l’origine de 5 % de notre électricité produite en Suisse et possèderait encore un potentiel de croissance important. Si elle a pu renaitre et se développer depuis les années 90’, c’est essentiellement grâce aux programmes de soutien de la confédération. Aujourd’hui ce soutien est-il suffisant pour donner à la petite hydraulique sa place dans notre futur mix-énergétique ? Quel rôle peut jouer la recherche ?

Que se cache-t-il derrière les façades de nos petites centrales hydroélectriques ?

L’histoire des petites centrales hydroélectriques est ancienne et souvent associée à l’électrification des zones rurales. Petit à petit, les moulins de l’époque ont progressivement laissé la place aux turbines plus conventionnelles et l’image de la petite hydraulique a changé. Aujourd’hui, on turbine encore l’eau des rivières mais aussi l’eau potable, les eaux usées, l’eau d’irrigation ou celle utilisée pour produire de la neige artificielle. Avec des petites centrales d’une puissance inférieure à 10 MW, plus de 3'600 GWh sont ainsi produits chaque année en Suisse. En comparaison, la grande centrale de Bieudron (VS) détient le record du monde de puissance par turbine Pelton, affichant 423 MW pour chacune de ses trois machines, et la consommation totale d'électricité en Suisse était de 58'000 GWh en 2015.

On peut distinguer trois grandes familles parmi ces petites centrales :

  • Il y a les centrales installées sur les infrastructures existantes et exploitées par des entreprises locales. Elles ont l’avantage d’avoir un impact limité sur l’environnement et des coûts d’installation bien plus raisonnables en turbinant de l’eau déjà canalisée. Un réseau d’eau potable peut par exemple présenter un potentiel hydraulique intéressant lorsque l’eau, captée en altitude, est consommée plus bas dans la vallée. De petites turbines peuvent récupérer la pression excédentaire pour produire de l’électricité. Les puissances installées sont de l’ordre de dizaine voire de quelques centaines de kilowatts. Si cette puissance peut paraitre dérisoire à l’échelle d’un pays, elle ne l’est pas à l’échelle d’un village.
  • À l’autre extrémité de la plage de puissance, il y a les centrales exploitant le potentiel des rivières, très similaires techniquement aux plus grandes centrales, en étant souvent équipées de turbines manufacturées par les constructeurs de la grande hydraulique. Les propriétaires et les exploitants sont généralement aussi ceux de la grande hydraulique. L’impact sur l’environnement est un point crucial pour ces petites centrales. La possibilité de produire quelques GWh est mise en balance avec le risque de modifier notre environnement naturel. Le choix n’est pas toujours évident et des compromis doivent être trouvés.
  • Entre ces deux grandes familles, il y a les centrales construites et exploitées par des particuliers passionnés comme c’est le cas pour la mini-centrale de la famille Estier sur la Versoix (GE).

Avec des puissances de quelques kilowatts à plusieurs mégawatts, les petites centrales ont donc des caractéristiques hétéroclites mais une chose les rassemble : la difficulté de produire de l’énergie de manière rentable.

Petite hydraulique

Comment la petite hydraulique est-elle soutenue aujourd’hui ?

Afin de soutenir le développement de la production d’électricité d’origine renouvelable (l’hydroélectricité, le solaire, l’éolien, la biomasse et la géothermie), la confédération a mis en place en 2008 la rétribution à prix coutant (RPC). Le kilowatt-heure produit par une petite centrale hydraulique est ainsi racheté en moyenne à 16 cts, ce qui est bien au-dessus du prix de 3 cts du marché actuel. Sans ce programme, de nombreuses petites centrales n’auraient pas vu le jour. Que ce soit pour des particuliers, des communes ou des sociétés, la rentabilité de l’aménagement reste une condition nécessaire et la RPC permet d’avoir un retour sur investissement dans un temps acceptable.

Actuellement en Suisse, 534 petites centrales bénéficient de ce soutien produisant toutes ensemble plus de 1'300 GWh. 277 petites centrales supplémentaires ayant déjà reçu une réponse positive pourraient, une fois construites, produire 1’000 GWh. Plus de 500 projets sont sur la liste d’attente affichant un potentiel de plus de 2’000 GWh, mais ces derniers chiffres sont à prendre avec précaution car tous ces projets ne sont à priori pas réalisables car les limitations liées à l’impact environnement et aux droits de concession ne sont pas prises en compte.

Depuis le 1er janvier 2017, la RPC qui finance la petite hydraulique a été révisée à la baisse (voir la Newsletter n° 30 de SuisseEnergie, petites centrales hydrauliques). Cette nouvelle va-t-elle freiner le développement de la petite hydraulique ?

Quel rôle peut jouer la recherche pour booster la petite hydraulique ?

Plusieurs projets sont en cours dans le cadre du SCCER-SoE afin de développer de nouvelles technologies pour exploiter le potentiel de la petite hydraulique.

Dans un premier temps, la priorité a été mise sur le potentiel des infrastructures existantes :

  • Une petite turbine est en phase d’industrialisation (CTI DUO Turbo, voir image) pour récupérer l’énergie des réseaux d’eau potable dont le potentiel est estimé à 60 GWh.
  • Un premier prototype d’une turbine pour récupérer l’énergie cinétique de l’eau des canaux a été réalisé et est actuellement en test dans le canal de fuite de la centrale de Lavey (VD, voir image).

En plus de ces technologies, le SCCER-SoE se penche sur « l’intelligence » des réseaux d’eau. Dans le cas des centrales installées sur les infrastructures existantes, la priorité n’est pas de produire de l’électricité mais de fournir de l’eau potable, de favoriser le tourisme ou d’irriguer les champs et parfois tout en même temps ! Peut-on envisager une gestion de l’eau optimisée à l’échelle de plusieurs villages ou de quartiers pour ne consommer que ce qui est nécessaire tout en produisant de l’électricité quand c’est possible et éventuellement en stockant de l’eau et donc de l’énergie durant certaines heures ? Pour cela, en collaboration avec le SCCER-FURIES, la possibilité de faire du pompage turbinage à petite échelle pour stocker l’énergie de manière décentralisée est aussi en cours d’étude (voir image).

Tous ces projets ont pour but de donner à la petite hydraulique une nouvelle jeunesse et renforcer sa place dans le mix énergétique suisse.

Auteur

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Dr. Cécile Alligné-Münch est responsable du work package 3 du SCCER-SoE sur les technologies innovantes, Professeur en énergie hydraulique et responsable du groupe hydroélectricité à la HES-SO Valais-Wallis.